Une balade culturelle à travers Venise en compagnie des guides Jonglez, à la découverte de sites à l'écart des grands classiques touristiques de la Sérénissime... Attardons-nous un moment dans le quartier de Cannaregio :
Le jardin secret de Ca’Morosini Del Giardin
“Où le jardin potager se mêle au jardin botanique”
Entre la calle Valmarana et le Rio dei Santi Apostoli, les murs d’enceinte du jardin de Ca’ Morosini renferment une longue histoire. De l’extérieur, il est impossible d’apercevoir ce vaste espace vert à l’exception de quelques branches qui dépassent du côté du canal. Il est composé d’un jardin potager riche en arbres fruitiers (grenadiers, néfliers, figuiers, bricotiers et plaqueminiers) et d’un merveilleux jardin botanique aux fleurs odorantes, dans toute sa splendeur au printemps quand fleurissent ses deux tonnelles : une de glycines blanches et l’autre de roses, passiflores et vignes américaines.
Les parterres s’articulent en deux sections selon un schéma géométrique. À la belle saison, ils offrent le spectacle d’une explosion de couleurs : pétunias, hibiscus, hortensias, dahlias, roses trémières, giroflées, oeillets d’Inde et gueules-de-loup ressortent parmi les fleurs de la tradition mariale (roses et iris) et les plantes caractéristiques des complexes monastiques (oliviers et cyprès).
Le plan de la ville de Jacopo de Barbari montre qu’une vaste étendue cultivée existait déjà à cet endroit au XVIe siècle. Les propriétaires – la famille Erizzo – firent également construire un casino qui donnait sur le canal de derrière : un pavillon aux trois grandes arcades flanquées de deux tours. Attribué à Palladio, il semble avoir été peint à fresque par Paul Véronèse. Ce jardin devint si célèbre au fil des ans que les Morosini – qui l’achetèrent avec d’autres biens immobiliers au XVIIe siècle – furent surnommés « del Giardin ».
Le complexe fut plus d’une fois remanié, peut-être même par Longhena. Au XIXe siècle, on élimina le dallage en briques de la cour et on détruisit une partie des bâtiments. C’est ce qui explique pourquoi il ne reste que quelques fragments du dispositif d’origine, tels que le cadre en pierre blanche d’une barrière du XVIe siècle, du côté du Campiello Valmarana, et les deux portails murés du XVIIe siècle, décorés de mascarons, qui donnent sur la calle della Posta.
Aujourd’hui, l’endroit est occupé par le siège d’une communauté de soeurs dominicaines qui entretiennent avec autant de soin que de passion le somptueux jardin réaménagé dans l’espace disponible après les démolitions du XIXe siècle.
Infos pratiques :
- Calle Valmarana 4629/B
- Pour visiter le jardin, sonner à la conciergerie et s’adresser aux sœurs, ou contacter Mme Mariagrazia Dammicco, au Wigwam Club Giardini Storici Venezia
- Tél. 328.8416748 – 320.4678502
- [email protected]
- www.giardini-venezia.it
Les yeux de Sainte Lucie
“Sur un plateau”
Le tableau de Tiepolo La dernière communion de sainte Lucie, situé dans la chapelle Corner de l’église dei Santi Apostoli, est relativement méconnu. Remarquez en bas à droite les deux yeux de la sainte qui reposent de façon spectaculaire sur une assiette, à côté d’un couteau. La scène se réfère au martyre de sainte Lucie (voir ci-dessous) : selon la légende, on lui enleva les yeux avant de la décapiter. Le tableau évoque la dernière communion de la sainte avant sa mise à mort. Selon certaines sources, la sainte se serait remis les yeux en place avant sa décapitation.
Infos pratiques :
- Tableau de Giambattista Tiepolo - La dernière communion de sainte Lucie
- Chapelle Corner
- Église dei Santi Apostoli
- Cannaregio
- Vaporetto Ca d’Oro ou Rialto
(Les Jardins Royaux de Venise - This Photo was taken by Wolfgang Moroder)
Sainte-Lucie
Née à Syracuse en Sicile vers l’an 300, Lucie était une noble sicilienne qui s’était consacrée à Dieu, faisant vœu de célibat et de pauvreté. Le mari à qui elle était promise, voyant qu’elle dilapidait sa fortune en la donnant aux pauvres, la dénonça au consul de Syracuse, Paschase (Pascasio en italien) et l’accusa d’être une chrétienne qui agissait à l’encontre des règles impériales.
Celui-ci, après avoir en vain essayé de lui faire renier sa foi dans le Christ, tenta de la faire violer par une foule d’hommes et essaya de l’emmener dans un bordel. Envahie par le Saint-Esprit, celle-ci devint si lourde que rien ne put la faire bouger d’un centimètre : des dizaines d’hommes puis de bœufs s’y essayèrent en vain.
Après l’avoir fait asperger d’urine (censée disperser les maléfices) puis d’huile bouillante mélangée à de la poix et de la résine, il lui fit trancher la gorge et selon certaines sources, enlever les yeux des orbites. Fait miraculeux, Lucie, la gorge tranchée, arrivait encore à parler et à invoquer le nom de Dieu. Sainte Lucie est la patronne des opticiens et est invoquée dans les cas d’ophtalmie. Notons que selon certaines sources, Lucie n’aurait en réalité jamais existé.
Le tableau de Bassano Le martyre de sainte Lucie à San Giorgio Maggiore relate la scène pendant laquelle une quantité importante de bœufs et d’hommes essaie de tirer, en vain, Lucie vers son supplice. Le corps de sainte Lucie est officiellement à Venise, dans l’église Santi Geremia e Lucia.
Les anciennes embarcations de l’Arzanà
“Le bateau, c’est la maison”
"Barca xe casa" (le bateau, c’est la maison) : ce vieil adage lagunaire n’a jamais été aussi approprié que dans les locaux de l’Arzanà, l’association qui encourage la récupération, l’étude et la conservation des embarcations traditionnelles vénitiennes. Le siège de cette association est l’ancien squero Casal du Rio dei Servi, en activité depuis le XVe siècle.
À l’intérieur, dans un désordre aussi artistique qu’éclectique, un petit musée privé conserve de nombreux « trésors » maritimes : voiles d’époque, flotteurs en liège et en verre, petits poêles pour burci et trabacoli (bateaux qui rapportaient du vin de Sicile et du bois d’Istrie), lanternes de bateaux et phares du XIXe siècle, cordages de chanvre et filets en coton, maquettes d’embarcations lagunaires, ainsi que de nombreux équipements provenant de donations privées ou de boutiques qui ont mis la clé sous la porte.
L’association possède également une flottille constituée d’une quarantaine d’embarcations en bois – toutes rigoureusement d’époque – parmi lesquelles la dernière peata existante à Venise. Mais la véritable merveille dont s’enorgueillit l’association est un authentique gondolin da fresco, autrement dit une « gondole pour la fraîche », munie de son felze original (capote pour abriter les passagers), un exemplaire unique au monde, en parfait état de conservation.
Ce type de gondole, dite filante, avait une coque d’une épaisseur réduite pour aller plus vite. Construite entre 1870 et 1880 dans ce squero*, elle servait en été pour les promenades sur l’eau et pour profiter de la fraîcheur.
Le rôle de l’association s’est avéré efficace : partout, à Venise, on sauve désormais de vieilles embarcations de la destruction à laquelle elles semblaient condamnées (les vieux bateaux étaient en général considérés comme un excellent bois de chauffe, dont on ne récupérait que la ferraille).
Plusieurs productions de films historiques situés dans la lagune (comme Le Marchand de Venise et Casanova) ont utilisé les vieilles embarcations et les rameurs de l’Arzanà.
Infos pratiques :
- Calle delle Pignatte 1936/D
- Visites sur rendez-vous aux : 347 2628999 – 340 3097191 – 334 3318621
- [email protected]
*Un squero est un petit chantier naval, généralement couvert, où l’on fabrique et répare les gondoles.
Excursions en bateau parmi les squeri
En collaboration avec des guides assermentés, l’Arzanà propose de belles balades en bateau à la découverte des squeri vénitiens. À partir du squero de San Trovaso, ce parcours guidé vous mènera en bateau jusqu’à l’ancien squero Casal tout en illustrant les activités historiques liées au patrimoine de la lagune (pour tous renseignements, appelez Paola Brolati au 348 2932772).
Venise insolite : Castello
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Crédits photos : Thomas Jonglez